VOX — Centre de l’image contemporaine

Vue de l’exposition _Maria Eichhorn. Film, vidéo, œuvre sonore_, VOX, 2006. Photo : Michel Brunelle.
Crédits

Maria Eichhorn
Film, vidéo, œuvre sonore

2006.11.04 - 12.16

NORA M. ALTER

La pratique artistique de Maria Eichhorn défie toute catégorisation facile. Son œuvre originant de l’héritage Fluxus et de la tradition de l’art conceptuel couvre une vaste gamme de genres et de médias allant des textes muraux aux livres d’artistes, des événements mis en scène aux entrevues approfondies, des colloques multithèmes aux panneaux d’affichage publics, du film à la vidéo. L’exposition de VOX se concentre sur ces deux derniers. Elle se compose, entre autres, du film 16 mm Film Lexicon of Sexual Practices (1999-2005), de la vidéo Shares in the Kunsthalle Bern (2005), de même que du documentaire vidéo The Social-Historical Background to the Artist’s Contract tiré de son projet sur « The Artist’s Reserved Rights Transfer and Sale Agreement » by Robert Projansky and Seth Siegelaub (1998). Elle inclut également un documentaire en référence à Billboard Istanbul Biennial 1995 (2005).

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C’est peut-être le titre d’un projet de livre collectif, No Credits (2005), auquel elle a participé, qui rend le mieux le caractère insaisissable de la pratique artistique d’Eichhorn. L’ouvrage consiste en un projet conjoint conçu par des étudiants d’Eichhorn à Zurich. Il est composé de déclarations, d’entrevues et d’interventions artistiques qui commentent et interrogent le fonctionnement de l’école d’art en tant qu’institution. Le rôle d’Eichhorn est celui de catalyseur; elle invite un grand nombre de participants à un dialogue et coordonne celui-ci. En réalité, la stratégie d’Eichhorn agissant comme metteur en scène est caractéristique de beaucoup de ses projets. Parmi ceux-ci, notons Curtain (Denim)/Lectures by Yuko Fujita, Mika Obayashi 1989/1997/1998 dans le cadre duquel elle a organisé une série de conférences anti-nucléaire, suivie de la publication d’un livre, et sa participation à l’exposition collective Kopfbahnhof/ Terminal (1995) présentée dans la gare centrale de Leipzig. Pour cette dernière, Eichhorn a organisé une tombola dont les prix étaient des billets aller-retour entre Leipzig et vingt et une destinations diverses. Les voyageurs participaient ainsi activement à l’œuvre et l’acte de voyager y devenait une partie intégrante. De même, pour Arbeit/Freizeit (Work time/Leisure Time, 1996), Eichhorn a mené une enquête auprès des employés de la Fondation Generali à Berlin, demandant à chacun de décrire le rapport entre le travail et les loisirs, et de choisir un objet qui, pour eux, représentait le mieux ces deux réalités. Une grande quantité de ces objets ont ensuite été exposés dans une vitrine du hall de la Generali Foundation.

Eichhorn repousse les limites de ce qui constitue traditionnellement le rôle de l’artiste – elle se sert souvent des forces institutionnelles dans une tentative de subvertir leur logique. Si le public était l’acteur principal dans ses premiers projets, depuis sa participation en 1997 à l’exposition Skulptur Projekte Münster/Sculpture. Projects in Münster (Purchase of the Plot at Corner Tibusstrasse/Breul, Province Münster, Hall 5, No. 672), Eichhorn mobilise de plus en plus documents juridiques, contrats et lois économiques qui déterminent les mouvements des capitaux. Ainsi, dans Maria Eichhorn Public Limited Company, œuvre désormais célèbre depuis son exposition en 2002 à la Documenta 11, l’artiste a utilisé les fonds de production qui lui avaient été alloués pour créer une véritable société par actions.

Le film et la vidéo ne constituent qu’une mince portion de la pratique artistique d’Eichhorn. Tout comme pour les autres supports avec lesquels elle travaille, la spécificité matérielle de ces médias est moins importante que la vision critique sur laquelle elle fait reposer son œuvre. Dans certains cas, comme dans Billboard Istanbul Biennial 1995 (2005), la vidéo fonctionne comme un livre d’artiste – dans les deux cas, ce qui est montré est la trace d’une action ou d’un événement antérieur organisé par l’artiste. De telles traces ne servent pas seulement de documentation puisque Eichhorn intègre également des séquences d’entrevues récentes et d’autres documents qui traitent délibérément et de manière dialogique de l’état actuel des événements tout en posant une réflexion sur le passé. Par contraste, Shares in the Kunsthalle Bern est un film promotionnel, conforme aux dispositions de la publicité institutionnelle qui sert à promouvoir la vente d’actions d’une société – dans ce cas-ci le Kunsthalle. Avec une bonne dose d’ironie corrosive, Eichhorn propose des images mises en scène d’« acheteurs » potentiels. Le film est présenté accompagné d’imprimés reliés en deux volumes exposant en détail la logique sous-tendant le projet ainsi que des actions élégamment encadrées. Pour sa part, Film Lexicon of Sexual Practices comprend sept clips muets 16 mm couleur de trois minutes. Dans chaque séquence, une caméra statique a filmé en gros plan la représentation de l’un des termes du glossaire qui décrivent des activités comme le « Cunnilingus », le « Coït », le « Lèchement de sein » et le « Ligotage » ou des parties du corps comme la « Bouche », le « Clitoris » et les « Yeux ». L’artiste a fourni une définition de dictionnaire pour chaque terme. La caméra immobile, le silence et la vue fragmentée produisent un effet de glossaire visuel où les définitions encyclopédiques sont traduites dans une forme cinématographique. Dans cette œuvre, la présentation des films est aussi importante que les films eux-mêmes. Ils sont conçus pour être visionnés comme film unique, et non en boucle, et leur projection est de taille plutôt petite (environ 60 cm de largeur). Un projectionniste professionnel présent dans la salle d’exposition est chargé de présenter les films choisis par les visiteurs. Si aucune demande n’est faite, aucune image n’est projetée. La performance du projectionniste fait partie de l’œuvre au même titre que les films. Contrairement à l’habitude, le projecteur de films est installé dans un espace d’exposition baigné de lumière naturelle. Dans ce cas-ci, le film n’est pas constitué simplement d’images sur celluloïd, mais englobe toute une pratique et un événement.