VOX — Centre de l’image contemporaine

Vue de l’exposition _Annette Kelm_, VOX, du 11 mai au 25 juin 2016. Crédit : Michel Brunelle.
Crédits

Annette Kelm

2016.05.11 - 06.25

VANESSA JOAN MÜLLER

Annette Kelm travaille exclusivement avec le médium de la photographie. Malgré la diversité de ses intérêts et l’hétérogénéité de ses motifs, elle a développé un langage pictural unique qui la place au rang des grands photographes allemands actuels. En conjuguant plusieurs genres dans une seule image (ou au fil d’une série de variations sur un seul motif), elle aborde un ensemble de références artistiques, historiques et transculturelles qui mettent en évidence son intérêt pour les transitions et les décalages entre les cultures.

Ses compositions photographiques s’apparentent souvent à des natures mortes, à des photographies d’architecture ou à des publicités dans des magazines de luxe, mais l’artiste y ajoute toujours une note d’étrangeté qui détonne avec les conventions de ces genres. Elle photographie des objets sous différents angles devant un fond neutre, sans nous en révéler grand-chose : ses photos documentaires ne semblent documenter rien d’autre que les choses en tant que telles. En jouant sur des juxtapositions inhabituelles, ces images mettent en évidence les références historiques ou culturelles inhérentes aux objets familiers, aux textiles imprimés ou aux dispositifs techniques.

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Les photographies de Kelm paraissent parfois aussi hermétiques que précises. Nous sommes pris au dépourvu devant ses natures mortes florales ou ses arrangements d’objets trouvés, avec leurs étonnants dispositifs de présentation « improvisés » et leur façon de nous laisser dans l’incertitude : l’ensemble est-il une simple représentation picturale ou une métaphore pointant vers autre chose ?

Ces tableaux soigneusement composés, tirés à la main à partir de négatifs argentiques moyen ou grand format, mettent en scène des objets devant des fonds colorés. Ils s’apparentent aux plans publicitaires de produits (packshots) dans la mesure où Kelm élimine toutes les ombres au profit d’un regard neutre et détaché. La scène est méticuleusement arrangée et impeccablement éclairée, ce qui confère un surcroît d’importance aux objets présentés. Souvent réalisées en séries, ces images révèlent une volonté chez Kelm de faire dévier la photographie de sa fonction représentationnelle pour l’orienter vers les systèmes sémantiques inhérents au médium lui-même.

Hautement conceptuelles sans pour autant être théoriques, bon nombre des œuvres de Kelm abordent la photographie en tant que système permettant de fixer la réalité, ce qui donne lieu à la production d’images complexes qui résistent aux catégorisations faciles. Même si la plupart des motifs semblent relativement accessibles, ils recèlent des codes visuels complexes. Soles, LOL! C U SOON, XO, STUFF 2, par exemple, montre un échantillon de semelles colorées dans un cadre noir, lui-même posé devant un fond imprimé couvert d’abréviations fréquemment utilisées dans les messages textes. L’artiste crée ainsi une image au sein d’une image. Il n’y a pas de connexion logique entre les deux, mais elles s’accordent visuellement. Kelm joue souvent avec la planéité de la photographie et celle des imprimés ou des textiles, soulignant ainsi la bidimensionnalité du médium.

La série Untitled (Eisenspäne) présente des amas de limaille de fer créés par des aimants placés sous un papier teinté. Chaque image montre les mêmes particules regroupées différemment. L’artiste n’avait qu’un contrôle partiel sur leur disposition, mais le résultat ressemble à d’étranges dessins abstraits qui rappellent le sens premier du mot photographie : « dessiner avec la lumière ».

Une autre série de photographies, Latzhose 2, met en scène une salopette rose (appartenant à la mère d’une amie artiste) étalée sur le sol du studio de Kelm. Les salopettes étaient traditionnellement considérées comme un vêtement de travail typiquement masculin, mais dans l’Allemagne des années 1970, les salopettes lilas – mêlant le bleu « masculin » au rose « féminin » – sont devenues un symbole de la libération des femmes. Chaque image de la série est différente, mais ces différences sont plutôt formelles et ne modifient pas la signification du vêtement. D’un autre côté, elles signalent un ensemble de possibilités qui complique le concept de l’image en tant que telle, ainsi que l’idée d’une représentation unique.

Kelm choisit principalement ses motifs en fonction de ses centres d’intérêt. Elle a découvert de nombreux sujets par hasard ou en observant attentivement son environnement. Dans de nombreuses photographies, l’artiste semble jouer avec un sens caché ou un encodage culturel qu’elle ne révèle pas nécessairement au spectateur. En réalité, nous n’avons pas besoin de les déchiffrer tous, et il est d’ailleurs peu probable que nous puissions saisir pleinement le sens de ces compositions surréalistes, qui se présentent parfois comme des rébus.

Les univers picturaux d’Annette Kelm nous fascinent par leur nature paradoxale : les signes et les motifs sont parfaitement lisibles, mais ce qu’ils racontent reste énigmatique. Il y a des pistes que nous pourrions suivre, des références que nous pourrions décoder, mais ce sont en vérité les photographies elles-mêmes, dans leur beauté et leur simplicité, qui accrochent notre regard et nous donnent à réfléchir sur les objets et leurs images.

Cette exposition a été réalisée grâce à la précieuse collaboration de Konïg Galerie (Berlin), Andrew Kreps Gallery (New York), de la collection Andrew Ong & George Robertson et de la collection Alex Bronzini Vender, New York.