VOX — Centre de l’image contemporaine

Louise Noguchi, _Virgil,_ 2004, épreuve numérique, 76 x 102 cm. Avec l’aimable permission de l’artiste.
Crédits

The Space of Making

2005.01.14 - 02.27

Notes

Du 14 janvier au 27 février 2005, Neuer Berliner Kuntsverein, Berlin

Du 17 avril au 19 juin 2005, Städtische Museum Zwickau, Zwickau

Du 24 juillet au 18 septembre 2005, Kunstmuseum Heidenheim, Heidenheim

Du 24 novembre 2005 au 22 janvier 2006, Städtische Galerie Waldkraiburg, Waldkraiburg

En 1969, Jeff Wall publie son livre Landscape Manual dont le texte annoté fournit un commentaire sur la prise de vue du paysage alors que les images, illustration du mode d’emploi, cadrent une route de banlieue avec ses terrains vagues, ses voitures et ses maisons. En s’appropriant la méthodologie de l’ouvrage didactique, l’artiste propose ainsi une narration critique sur la genèse d’un phénomène urbain tout en parodiant le regard « objectif » du documentaire photographique. « Les faits sont toujours en interdépendance avec la pensée », écrit Wall en 1970 à propos de son Manuel, réitérant l’importance de sa démarche conceptuelle1. Toujours en 1969, N.E. Thing Company, dirigée par le duo d’artistes de Vancouver Ingrid et Iain Baxter, installe des panneaux signalétiques sur une route quelconque de l’Île-du-Prince-Édouard. La séquence photographique reconstituant ce parcours nous informe que nous traversons un Quarter Mile N.E. Thing Co. Landscape. Les images, bien qu’elles soient fixes, imitent ingénieusement l’ellipse cinématographique qui, en raccordant des espaces et des temps, suggère la temporalité du trajet. Une carte géographique, placée à la suite des images, localise le site alors qu’un croquis retrace le chemin parcouru. N.E. Thing Company joue de contradictions qui forcent notre attention : c’est par la nature descriptive du texte qu’elle produit une expérience de l’espace, c’est par l’immobilité de l’image qu’elle fait voyager, c’est par l’humour qu’elle rappelle les limites de la photo-graphie quand il s’agit de reconstituer une telle expérience spatio-temporelle. Également en 1969, Ian Wallace parcourt les boulevards de Vancouver, y recherchant les formes architecturales de la modernité superposées aux traces urbaines de la vie quotidienne. Les images qu’il réalise durant cette période reproduisent « rigoureusement » les erreurs classiques de la photographie amateur – cadrage approximatif, reflets indésirables, indifférence à l’éclairage, interférences d’objets dans le champ visuel –, ce qui leur donne un caractère banal, quasi insignifiant. Ce manque volontaire de savoir-faire a toutefois le mérite de diriger l’attention sur le faire, ce qui ne rend pas pour autant invisibles la ville et sa représentation, mais les présente du point de vue de leur matérialité.

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Ce qu’ont en commun l’entreprise conceptuelle de ces trois artistes est que leur processus de production de l’espace ne se situe pas derrière la scène mais constitue la substance même de leurs images. Poursuivant la réflexion qu’il avait entreprise vingt-cinq ans plus tôt en réalisant son Landscape Manual, Jeff Wall dirige son attention sur ce que la photographie a ainsi rendu visible dans les pratiques conceptuelles : « Il est possible que le choc fondamental que la photographie a provoqué ait été de fournir une description dont on pouvait faire l’expérience comme on fait l’expérience du monde visible, et ce, comme jamais auparavant. Une photographie montre donc un sujet en montrant ce qu’est l’expérience; dans ce sens, elle propose “une expérience de l’expérience” et définit cela comme la signification de la description »2. En plus d’être investi des manières de penser le monde, le fait photographique est révélateur des manières de le faire.

À la façon de ces trois œuvres inaugurales dans le contexte d’une certaine pratique de la photographie canadienne, les œuvres des douze artistes de la présente exposition rendent visibles les mécanismes réels et illusionnistes qui participent à la production de l’espace photographique. Leurs images sont ainsi conçues comme des scènes d’apparition où accèdent à la visibilité aussi bien des manières de faire que des manières de penser l’espace, qu’il soit réaliste ou improbable. Les lieux où ils choisissent de travailler en sont de bons indicateurs. Qu’ils réalisent leurs images en studio ou sur des sites – la ville, le jardin, le paysage, le musée, le laboratoire, le parc thématique, le lieu de travail – la plupart de ces lieux sont déjà scénarisés. Leurs images nous permettent ainsi d’apercevoir ces décors et d’interroger leur rôle dans la production du sens ou de l’idéologie. Pour tous les artistes de cette exposition, on le comprend, la vue devient aussi importante que l’espace vu, et sa construction intéresse autant, sinon davantage, que l’espace apparemment décrit.

  1. Jeff Wall cité par Dennis Wheeler, « The Limits of the Defeated Landscape: a review of Four Artists », Artscanada, juin 1970, p. 51.

  2. Jeff Wall, « Marques d’indifférence : aspects de la photographie dans et comme art conceptuel », Essais et entretiens. 1984-2001, Paris, École nationale supérieure des beaux-arts, 2001, p. 310.