VOX — Centre de l’image contemporaine

Dirk Braeckman, _C.R.-B.X.-00_, 2000, épreuve argentique, 120 x 180 cm. Avec l’aimable permission de l’artiste.
Crédits

Dirk Braeckman
z.Z.(t)

2003.02.14 - 04.06

GREGORY SALZMAN

L’art de Dirk Braeckman allie les sens de la vue et du toucher. Dans cet art, la vue ne dispose d’aucun but ou objet défini, et se trouve soumise à un certain aveuglement. La texture riche et multiple à tous les plans et niveaux du travail de l’artiste, jointe à l’action de divers obstacles qui en diminuent la clarté, procurent à son art un caractère tactile marqué. Une sombre grisaille envahit ses images, telle un basso continuo profond et soutenu. La chaleur et la profondeur des tons accentuent le sentiment d’enfermement, de confinement et de compression spatiale, tout en soulignant la subjectivité des images. Par ailleurs, l’emphase portée sur la tactilité s’affirme au détriment de la lisibilité, de l’articulation et de l’élaboration du sens. Il est significatif que les images les plus fascinantes de Braeckman soient celles dans lesquelles le sujet est présenté de manière incomplète par le gommage et le brouillage des détails, par le masquage partiel ou par l’oblitération.

Dans le travail des années 2000, l’espace pictural est généralement moins profond et le sentiment de compression spatiale s’est intensifié. Les indices de la tactilité sont de plus en plus contredits par des éléments qui en diminuent l’apparente solidité. La compression de l’espace, entraînant une résistance physique et accentuant l’effet tactile, déjoue également la cohérence rationnelle et physique. Dans certaines images, des objets aux surfaces vides ou agissant comme des miroirs liquéfiants sont disposés au premier plan de façon à bloquer ou à masquer partiellement l’articulation plastique et les surfaces texturées, minant ainsi la profondeur implicite et la solidité physique.

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L’omission et le brouillage des détails, de même que certaines autres qualités plastiques qui réduisent la clarté et la portée descriptives, participent à la transformation de son art, à son caractère paradoxalement concret et intangible, de même qu’à l’inscription paradoxale de la durée et de la suspension temporelle.

L’indétermination de l’espace et des objets crée des possibilités d’inscription métaphorique, de sorte que dans plusieurs images la forme passe de la nature morte à celle de paysages d’une profondeur insondable. Comme dans toutes les images de Braeckman, l’action de la lumière est trompeuse. Elle révèle et dissimule. Elle façonne l’espace en même temps qu’elle le disloque. Elle contribue au caractère matériel de l’ouvre tout en le sublimant.

Les éclats, les jaillissements et les nébuleuses de lumière omniprésents dans l’art de Braeckman – ces dispositifs formels déterminants qui activent l’espace et ébranlent son uniformité – bouleversent la cohérence formelle tout en apportant de l’imprévu et de l’instabilité. Au lieu d’éclairer le sujet, ils l’effacent et se présentent ainsi comme des imperfections. Ces éléments (anti)formels apparemment erronés, mais qui sont en fait astucieusement trompeurs, témoignent du réalisme de l’art de Braeckman. Le dialogue entre l’intériorité et l’extériorité est alimenté par les «défauts» mentionnés plus haut, et par l’aspect fragmenté des images qui intensifie et limite l’impression d’enfermement.

Le contenu hautement prosaïque, ordinaire et inintéressant des œuvres contribue au caractère à la fois transparent et opaque de cet art. L’aspect immédiat et la banalité du contenu s’accordent avec la transparence et la désinvolture de la présentation et du cadrage, tandis que son mutisme exprime l’opacité. Dans l’ensemble, le contenu est moins significatif que le jeu crucial entre le concret et l’illusoire propre à ce travail. En définitive, les bases de ce travail : sa médiation entre le dedans et le dehors, son affirmation tout comme sa négation de la profondeur, la fusion qu’il opère entre des qualités objectives et subjectives, de même que son refus de la clarté et de la lisibilité, constituent les termes qui fondent sa portée, et ce, de manière concertée.

L’aspect intime de l’art de Braeckman, ressenti comme un enveloppement et une vitalité sensuels, une présence, une proximité et un contact, refuse et conteste le caractère abstrait propre à la photographie, son étrange aspect lisse, sa froideur et sa fixité. L’accès à l’intimité s’en trouve limité et transformé par la distance insurmontable et le caractère poignant propre à la pratique photographique. L’art de Braeckman met à l’épreuve les limites de la photographie, se penche sur sa spécificité et l’utilise pour suggérer et traduire des désirs et des préoccupations fondamentales de l’humanité.