VOX — Centre de l’image contemporaine

Vue de l'exposition _Jeanne Dunning_, VOX, 2007. Photo : Michel Brunelle.
Crédits

Jeanne Dunning

2007.11.03 - 12.15

RACHEL LAUZON

C’est en évoquant le factice – bas nylon couleur chair, fausse excroissance, masse molle couleur peau – que Jeanne Dunning élabore une réflexion sur le rapport au corps féminin qui, au lieu d’interroger le domaine des apparences, s’enracine plutôt dans la dé-construction du rapport à la matière charnelle. L’artiste scrute donc les liens entre la chair et le soi, par-delà des questions de séduction et de pouvoir.

Corps fragmentés (Scattered Parts), chair inerte (Getting Dressed), surplus de peau (On a Platter) : ces thèmes renforcent la portée équivoque et déstabilisante des images de Dunning, qui évoquent plus précisément un certain détachement à l’égard de la chair. En effet, en plus de considérer le surplus de chair comme un tout à part entière, l’artiste semble préoccupée par les relations paradoxales entretenues envers le corps, ce qui s’actualise dans son travail par une considération du corps s’avérant constamment déchiré entre la dimension protectrice de sa chair et le caractère étouffant de sa masse. La série The Blob rend bien compte de ce rapport ambivalent. Ces images montrent quelquefois le poids gênant de cette masse aqueuse, tandis que cette même forme incarne parfois une présence rassurante. Ce blob évoque donc tout aussi bien la chaleur apaisante d’un corps que l’absence évidente d’un véritable corps incarné aux côtés du sujet; du coup, ce sont les rapports ambigus entre désir et solitude, réconfort et vide, fantasme et immobilisme, qui viennent problématiser la relation entre le soi et le prolongement du soi dans l’enveloppe corporelle.

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Cette difficile capacité à établir un rapport contigu entre le corps et le monde dans lequel ce corps existe ressort des œuvres Extra Skin (Adding) et Extra Skin (Subtracting). Dans la première, un personnage enfile plusieurs couches de vêtements couleur peau, faisant ainsi allusion à un épaississement de la chair malgré la dimension factice de cette couleur beigeâtre. Comme si cette nouvelle couche charnelle quasi prothétique remplissait désormais un rôle plus près de la protection que du sensitif. Dans la seconde œuvre, une femme pèle délicatement (et faussement) la surface de son épiderme qui s’amoncelle par terre. Ce sont donc des questionnements reliés au soi qui émanent de ces images : un contact à nu avec autrui est-il (im)possible ? Comment peut-on réellement pénétrer sa propre enveloppe corporelle afin d’entrer en contact avec soi ? Et où se situerait, somme toute, ce soi ? À l’intérieur du corps, ou bien dans notre rapport à l’autre ?1.

L’œuvre Trying to See Myself esquisse sans doute une certaine réponse à ces questionnements, toujours liés à l’idée de détachement. Lorsque la femme enlève en un bloc les épaisseurs de bas nylon enfilés avec hardiesse, qu’elle réussit à se dégager de cette enveloppe de fausse chair, qu’elle replace délicatement ce moule synthétique, il semble qu’elle soit enfin capable de se « voir elle-même »; comme si se détacher de l’empreinte de son corps gisant au sol, tel un cocon vide, demeurait la seule manière de constater la réalité de son existence charnelle dans le monde.

  1. Notons que cet intérêt pour une localisation du soi est aussi au centre des réflexions de la troisième vague féministe sur l’identité. Voir à ce sujet Karyn Stapleton, « In Search of the Self: Feminism, Postmodernism and Identity », Feminism & Psychology, vol. 10, no 4, 2000, p. 463-469.