VOX — Centre de l’image contemporaine

Vue de l’exposition _Nelson Henricks_, VOX, 2009. Photo : Michel Brunelle.
Crédits

Nelson Henricks

2009.11.07 - 12.19

MONIQUE MOUMBLOW

Les images dans les vidéos de Nelson Henricks m’ont toujours séduite. Ce sont des images somptueuses, souvent filmées sur pellicule, et montées de manière envoûtante, captivante. En regardant les œuvres qui seront présentées à VOX, je réalise que plus de la moitié des plans montrent des objets filmés de très près, qui occupent toute la surface de l’écran. Certains de ces articles sont banals, une tasse par exemple, alors que d’autres, comme un couteau, sont plus évocateurs. Plusieurs d’entre eux semblent provenir d’une autre époque, tandis que certains – des mains, des guitares et des tourne-disques, entre autres – réapparaissent fréquemment. Sans vraiment y penser, je dresse une liste, notant soigneusement tout ce qui apparaît dans Les Sirènes, Échec et Compte à rebours.

31_Journal_vignette.jpg

Le 31 août 2009, Nelson et moi procédons à une sorte d’exercice d‘association libre à partir de la liste que j’ai préparée. Je ne sais pas vraiment ce que j’ai en tête, mais je me sens inexplicablement poussée à inventorier tous ces objets. Quand j’arrive chez Nelson, nous passons au salon et nous asseyons sur le divan. Nous prenons une tasse de thé et il suit plus ou moins les règles que j’ai établies. Au fur et à mesure que je nomme les articles sur la liste, il me répond par un mot en essayant de ne pas trop y penser. Nous ne faisons aucune révision.

YEUXPIERRE
LUNETTESMOI
OREILLESENTENDRE
TORSESEXY
TOURNE-DISQUEDISQUE
POINTE DE LECTURECREUSER
BARBEPÈRE
RASOIRMÈRE
MOLLETSSEXY
CHAUSSURES DE COURSEUSAGÉES
RIDEAU NOIRQUE CACHE-T-IL
ÉCLAIRAGE PHOTOPOINTER
VISAGEOUVERTURE
AMPLIFICATEURMUSIQUE
FOURCHETTEPOIGNARDER
HAUT-PARLEURBOUCHE
CUILLÈRENOURRIR
MONITEURLUMIÈRE
AIGUILLESPERÇAGE
VERRE À VINFRACASSER
DOIGTSTAPOTER
GUITAREACCORD
COUTEAUCOUPER
TATOUAGEPEAU
ROULEAU DE PELLICULESPIRALE TOURNOYANTE
TASSEÀ DEMI PLEINE
MICROPHONELÈVRES
PAPIERCOUPER
GORGEALLONGÉE
CLAQUETTEFIN
PROJECTEUR À DIAPOSCLIQUETIS
INTERRUPTEURÉTEINT
PRISEFICHE
VU-MÈTREFLUCTUER
DISQUETOURNER
PROJECTEURLUMIÈRE
BADGEPOLICE
MÈTRE À RUBANTIRER
LIVREPLAISIR DU TEXTE
AGENDACACHÉ
BIBLEAVANT
CONTENANT DE PÉTROLEPANNE AU BORD DE LA ROUTE
CRÈME HYDRATANTEMAINS
HORLOGETEMPS
BALANCEMESURE
CARTEEMPLACEMENT
BANDE VIDEODÉBOBINER
AFFICHEMUR
CALCULATRICENUMÉRIQUE
RÈGLEMESURE
TASSE À MESURERCUISINER
BOÎTIER DE PELLICULE SUPER 8VIDE
OBJET NON IDENTIFIÉMYSTÉRIEUX
CLAVIERJOUER
BOÎTE D’ŒUFSNOURRITURE
BILLET DE DIX DOLLARSARGENT
TÉLÉPHONEAPPEL
CHARGEUR DE PELLICULE SUPER 8POSSIBILITÉ
ESCABEAUGRIMPER
CARTE À JOUERGRAND-MÈRE
SAC À ORDURESDÉCHETS
JEU
CUBE DE CONSTRUCTIONENFANCE
3 SECONDES DE VIDEATTENDRE

Une fois la liste terminée, nous finissons par parler de la difficulté d’écrire. Je mentionne un autre texte sur lequel je travaille qui me donne du fil à retordre. Avec l’humour pince-sans-rire qu’on lui connaît, Nelson me suggère d’ajouter de très longues notes de bas de page. Je pourrais ensuite dire à tout le monde qu’il s’agit d’une stratégie postmoderne. Bien que, dans les faits, cela m’éviterait aussi d’avoir à revoir mon texte complètement1.

Nous nous disons bonsoir et je rentre à pied à la maison. Une fois arrivée, je relis la liste à quelques reprises. Elle me plaît. On dirait un lexique secret, personnel, ou une série de pictogrammes tout à fait capables d’exister par eux-mêmes. Hormis quelques répétitions, comme les mots « couper », « lumière », « mesure » et « sexy », je ne suis pas certaine de savoir comment les incorporer à un texte sur les œuvres présentées à VOX.

Le 18 septembre 2009, je retourne chez Nelson. Il prépare du café et nous nous asseyons dans la cuisine pour causer.

À un moment donné, il mentionne qu’un très gros plan d’une tasse peut être plus intéressant qu’un plan d’ensemble de la cuisine. D’emblée, cela me semble étrange, mais je peux voir comment l’objet devient instantanément plus tactile grâce à ce changement d’échelle. On peut s’imaginer en train de toucher la surface lisse et argentée de la cuillère ou de tenir le billet de dix dollars entre ses doigts.

Les objets sont générateurs de souvenirs. Un tourne-disque peut évoquer le tout premier microsillon que vous avez acheté; une carte géographique, vous rappeler un voyage en Italie en 1993. Cette tasse à mesurer a peut-être déjà appartenu à un ex-amoureux et s’est frayée un chemin jusque chez vous sans que vous vous rappeliez comment. La plupart des objets durent plus longtemps que le souvenir que nous gardons des événements. Le désir de les collectionner est une assurance contre l’oubli. Dans ce contexte, la liste dressée à partir des bandes de Nelson semble incroyablement efficace, comme des archives d’objets familiers, une série de raccourcis, que l’on peut se rappeler et utiliser au besoin.

Dans Échec, nous voyons un plan général d’une pièce avec un grand rideau noir. L’image est déstabilisante. Au lieu des petits espaces auxquels nous sommes habitués, nous nous trouvons soudainement dans une pièce immense, un théâtre, peut-être, ou un atelier. Nelson, l’artiste-professeur, fait son apparition. Son corps entier est visible, et non seulement des parties sectionnées, comme une jambe, le visage ou un pied. Il déambule dans la pièce pendant un instant, tentant de trouver sa place. Une musique se fait entendre et il se met alors à se déplacer d’une drôle de manière d’un côté à l’autre de l’écran. La scène est interrompue par l’apparition d’une fiche aide-mémoire sur laquelle sont écrits les mots « Impoverished Aesthetics » (esthétique appauvrie), lesquels se prêtent à de multiples interprétations. La séquence ne dure que quelques secondes. Il s’agit d’une courte prestation publique, une toute petite danse sur l’échec et l’humiliation.

Dans la séquence suivante, Nelson est étendu sur son lit et fixe le plafond. Nous sommes maintenant de retour à la maison. La séquence précédente semble très lointaine. Nous avons été ramenés dans un monde de gros plans, d’espaces intimes, d’objets et de souvenirs.

  1. Cette nuit-là, j’ai fait un rêve très étrange. J’avais acheté un logiciel de traitement de texte qui non seulement était capable de corriger l’orthographe, mais qui comportait aussi un filtre incroyable qui corrigeait les fautes de style. Il pouvait signaler quelles parties du texte étaient répétitives, si certains adjectifs étaient incorrectement utilisés ou si la structure du texte manquait de cohérence. Il contenait même un filtre qui pouvait raccourcir les passages trop longs et souligner les parties ennuyeuses. Le programme était si puissant que vous n’aviez qu’à y glisser-déposer votre fichier et il générerait automatiquement une prose impeccable.