VOX — Centre de l’image contemporaine

Vue de l'exposition ART + TYPO, 2024.
Crédits

ART + TYPO

2024.02.23 - 06.22

Notes

VOX et le Centre de design de l’UQAM s’unissent pour présenter une grande exposition sur l’art et la typographie, spécialement élaborée par Angela Grauerholz et Robert Fones. Ces deux artistes partagent un intérêt de longue date pour l’histoire de la typographie, les expérimentations novatrices, l’art et le design. Intitulée ART + TYPO, cette proposition se concentre sur deux disciplines qui emploient la lettre en tant que forme mécaniquement reproductible. Celle-ci est omniprésente dans la société d’aujourd’hui à travers des médias aussi variés que la publicité, la signalétique, l’affichage, les magazines et les projections numériques. Bien qu’elle touche à tous ces champs, l’exposition porte avant tout sur la typographie en tant qu’art générant des formes et des expressions, et plus particulièrement sur la recherche et l’expérimentation typographiques ainsi que la relation significative au langage, à la matérialité et aux diverses formes de design.

Les œuvres exposées reflètent la diversité des formes typographiques utilisées par les artistes à partir du début du 20e siècle, formes qui deviennent notamment une composante essentielle du futurisme, du dadaïsme et du constructivisme russe. Par la suite, dans les années 1950 et 1960, les artistes du pop art contribuent à la résurgence de la typographie en art en intégrant la publicité et la signalétique dans leurs œuvres. L’art conceptuel, qui emprunte des approches à des disciplines non artistiques et recourt à des textes littéraires, politiques et philosophiques, exerce quant à lui une influence considérable sur de nombreux artistes de la présente exposition.

Affiche ART + TYPO

Notes d’introduction à l’exposition

Par Angela Grauerholz et Robert Fones

La typographie peut se définir comme la forme mécaniquement reproductible des lettres qui découle de l’invention des caractères mobiles en plomb par Gutenberg en 1452. Elle peut également se décrire comme une discipline génératrice de formes qui s’est développée de manière à déployer les qualités visuelles des lettres, des mots et du texte. Par conséquent, la typographie se prête à l’embellissement de l’expérience de la lecture et constitue un véritable outil pour mettre en relief les éventuels éléments de sens dans les médias traditionnels et les arts visuels.

Dans l’histoire, différentes périodes de production interdisciplinaire sont singulièrement marquées par l’expérimentation typographique. En effet, les caractères sont employés par les artistes dès le début du 20e siècle, époque où Picasso et Braque introduisent des lettres peintes au pochoir dans leurs œuvres à l’aide de gabarits métalliques produits en série. Par la suite, les artistes incorporent couramment les caractères et le lettrage dans leurs peintures, collages, sculptures, impressions et films. Les artistes et les poètes poursuivent leur exploration de la typographie dans les médias imprimés, concevant de nouvelles formes d’expression graphiques et donnant naissance à des pratiques pluridisciplinaires.

Les croisements médiatiques et disciplinaires qui impliquent la typographie sont faciles à repérer dans les pratiques d’arts visuels récentes. Pensons à l’emblématique sculpture LOVE (1970) de Robert Indiana, qui prend d’abord la forme d’une œuvre poétique visuelle en 1964 et celle d’une carte de Noël en 1965, avant de se matérialiser en tant que logo tridimensionnel d’aluminium, puis d’acier, et d’être mise à profit dans des produits dérivés tels que des porte-clés et un timbre-poste. En 1987, General Idea s’approprie ce design typographique dans le contexte d’une campagne de sensibilisation au sida en remplaçant le mot « LOVE » par le mot « AIDS ». Cet emprunt fait l’objet de peintures, puis de multiples, de papier peint et d’affiches.

Certaines des initiatives à l’origine des développements en typographie découlent d’intérêts politiques. Ces expérimentations impulsées par différentes idéologies offrent également un des premiers modèles de collaboration interdisciplinaire. En 1923, par exemple, le poète Vladimir Maïakovski et l’artiste et designer El Lissitzky travaillent ensemble à la conception graphique du recueil de poésie Dlja golosa (Pour la voix). En phase avec le régime soviétique, leur mission était de trouver une façon de traduire l’oralité – jusqu’alors l’unique manière de transmettre la poésie aux masses – par des signes visuels que la population, majoritairement illettrée, pourrait comprendre. Le mouvement pacifiste Dada, à l’inverse, choisit d’attaquer le langage dans le but d’ébranler les normes sociales et artistiques traditionnelles.

Cependant, c’est à Stéphane Mallarmé qu’on attribue la première rupture avec le texte et le graphisme traditionnels. À la fin du 19e siècle, celui-ci tente de donner une dimension visuelle à son célèbre poème « Un coup de dés jamais n’abolira le hasard ». En employant l’ensemble des variations d’une police de caractères et des espacements – avec des espaces différents pour chaque page –, il invente par la même occasion une nouvelle manière d’ordonner les pages. Non seulement il montre à son lectorat la façon dont il souhaite que ses poèmes soient lus, mais il met en œuvre une méthode de composition innovante, souligne les propriétés visuelles du texte et propose des liens textuels inusités. Cela, ainsi que le contenu abstrait du poème – également une innovation à l’époque –, donne lieu à une cohésion inouïe du contenu et de l’effet visuel.

La visualisation, la communication, la traduction ou la transformation, ainsi que la relation entre le texte et ses effets visuels, représentent encore aujourd’hui les principales motivations derrière l’intégration du langage dans les médias visuels. Chaque artiste de l’exposition a sa propre manière d’employer le langage et la typographie. Les œuvres ne représentent donc qu’une fraction des nombreuses pratiques artistiques qui se sont intéressées à la typographie ; plusieurs d’entre elles ont d’ailleurs mené à de réelles innovations dans l’utilisation des médias textuels. Au cours de la réalisation de l’exposition, une des découvertes les plus fascinantes pour nous a été de voir surgir des liens entre les différentes pratiques artistiques qui font appel au langage, à l’engagement politique, à la conception d’expositions et aux formes élargies de la poésie, voire à la création de signes typographiques. En fait, l’exposition elle-même résume nos intérêts combinés, canalisés dans leur forme expressive : une scène propice à une interaction stimulante qui repose en quelque sorte sur le langage et l’art au même titre que les signes et leurs transformations technologiques, lesquels permettent aujourd’hui de saisir la vitalité des recherches sur la typographie.