VOX — Centre de l’image contemporaine

Bryony Dunne, _Surrender Your Horns_, 2022, film, 1h. Avec l'aimable permission de l'artiste et de Vidéographe.
Crédits

Vidéographe x VOX
Bryony Dunne
Anna Grigorian

2023.10.24 - 10.28

DOMINIQUE SIROIS-ROULEAU

Vidéographe et VOX sont fiers de s’associer pour présenter les installations vidéo de Bryony Dunne et d’Anna Grigorian.

Cette exposition vise à mettre en lumière les structures d’oppression coloniales et patriarcales qui régissent nos rapports à l’autre. En combinant les contenus documentaires à des approches plus théâtrales de la vidéo, les artistes proposent une réflexion étonnamment sensible et politique sur la violence. Qu’elle se destine aux espèces en voie de disparition, comme chez Dunne avec Surrender Your Horns (2022), ou qu’elle manifeste le sexisme persistant et généralisé de la culture arménienne, tel que dénoncée dans Room | Սենյակ (2021) de Grigorian, la violence est observée dans la perspective d’une approche empathique comme mode de résolution de ses conséquences.

Sous le couvert du surréalisme ou d’une transcription fantaisiste du monde, ces œuvres remettent en question nos perceptions et transcrivent ainsi les profonds défis auxquels sont confrontés les groupes marginalisés et les espèces menacées.

     

ELOÏZE CHAMPAGNE-DENIS

Bryony Dunne, Surrender Your Horns (2022)

Capable de produire des formes merveilleuses, notre imagination peut également s’exprimer sous une lumière sinistre. Surrender Your Horns (2022), premier long métrage de Bryony Dunne, pose un regard sur les conséquences potentielles de cette part de notre imaginaire qui tend à la destruction. Son film est un compte rendu épisodique qui accuse l’imagination humaine de l’extinction du rhinocéros. Pour illustrer la complexité dysfonctionnelle de notre relation à la nature, elle propose, en guise de personnage principal, un être à tête de rhinocéros. Celui-ci est l’élément déclencheur des discussions entre la narratrice et les différents acteurs et actrices de la disparition de ce grand mammifère.

À la croisée du documentaire et du film fantastique, ce projet utilise le conte comme moyen de nous faire remettre en question notre perspective anthropocentrique du monde. Par des entrevues avec des scientifiques, des braconniers et des vétérinaires, Dunne explore la fascination de l’être humain pour le symbolisme de la corne, tant dans sa dimension utopique que mercatique. Associée à la licorne, la corne représente le fantasme du pouvoir et de la richesse, tandis que sa transposition moderne illustrée par le rhinocéros incarne l’assouvissement des désirs charnels. Comme l’affirmeront tristement les protagonistes : tous et toutes ont une raison d’exploiter l’animal cornu.

Surrender Your Horns constitue un récit théâtral, un conte épique qui met en lumière de manière tragique l’incapacité fondamentale de l’être humain à communiquer. Ainsi, ce film résonne comme un appel à réévaluer notre présence et notre coexistence avec le monde qui nous entoure.


Anna Grigorian, Room | Սենյակ (2021)

À l’heure où la surexposition aux images violentes marque notre quotidien, le film Pièce (2021) d’Anna Grigorian prend une direction inattendue en déconstruisant les conventions de la représentation de la violence. En performant son sentiment de désemparement face à l’oppression des femmes en Arménie, la réalisatrice aborde ses sujets avec une approche surréelle qui révèle la banalité déconcertante d’une brutalité peu commune.

Dans un théâtre de l’absurde, elle met en scène l’ombre fantomatique de deux personnages. Ceux-ci étant vêtus de noir sur fond noir, seuls leurs gants blancs miment le schéma narratif du film, soit le meurtre de leur femme. Le lexique médical et juridique que Grigorian emprunte stratégiquement aux rapports de police établit une rupture émotionnelle, nécessaire, d’après elle, pour traiter d’un tel sujet. Elle parvient par ces procédés à aplanir la charge affective de son propos. L’artiste érige une barrière lexicale et visuelle entre l’histoire funeste de ces femmes et nous. Les situations sont exposées de façon à nous y faire réfléchir plutôt qu’à nous les faire ressentir. Le résultat est une œuvre aussi froide qu’angoissante.

Les mains nous guident à travers l’enchevêtrement cacophonique des discours de la narratrice. Les mouvements méthodiques des protagonistes nous mettent à distance de l’inhumanité du sujet, tout en permettant l’expression intrinsèquement tragique de leur nature. Grigorian évide la violence de tout artifice, expose la brutalité crue de ses conséquences, et révèle de là la réalité poignante de toute agression.